Les décroissants les plus motivés se fixent souvent comme objectif d’atteindre la quasi autarcie. Est-ce un mythe, un leurre, une quête vaine ?
J’ai déjà, en préambule, parlé de
quasi autarcie. L’autarcie complète n’existe plus depuis bien longtemps et la poursuivre équivaudrait à un retour à la préhistoire. Qu’appelons-nous autarcie ? Autarcie individuelle, du clan familial, de la tribu ? Il convient de préciser. L’autarcie individuelle (tout comme familiale) est en soi contre nature, l’homme comme le loup vivant en clan, en meute, avec une répartition des rôles selon le genre et la position dominante. L’autarcie de la tribu est déjà plus fréquente, bien que même en Amazonie ou en Papouasie, les échanges inter-tribus ou entre la tribu et le monde dit civilisé sont fréquents.
On peut essayer de tendre vers l’autarcie. Ce que faisaient mes parents. J’ai grandi dans une ferme d’où nous tirions en très grande partie notre subsistance. Et ce que nous ne pouvions produire, nous l’achetions avec l’argent de la vente d’excédents, comme les œufs par exemple. Ce mode de vie est toujours possible mais suppose une famille nombreuse (beaucoup de bras) ou un groupe de familles (la tribu) et surtout, une superficie non négligeable de terre (plusieurs hectares) et de l’eau à volonté. Un potager, s’il peut être suffisant du printemps à l’automne s’avère peu productif l’hiver. Il faut recourir à la mise en conserve et avoir de la volaille. Qui dit volaille suppose beaucoup de terrain. Soit les poules vivent dans un espace assez grand pour se nourrir avec très peu d’apport de céréales, soit l’espace est restreint mais il faudra alors des terres pour cultiver des céréales et les nourrir. Elles seront précieuses pour les œufs, plus encore que pour la viande. Une poule vivante produira dans sa vie bien plus de protéines par ses œufs que par sa propre viande. Si l’on souhaite une alimentation équilibrée, gage de bonne santé, il faudra produire une très grande variété de légumes, fruits, etc. Or, vous êtes contraints par la qualité de votre terre (qui ne permettra pas de tout produire), par le climat, les caprices météorologiques, par votre savoir-faire et par bien d’autres facteurs.
Plutôt que de rechercher une autarcie à tout prix, il vaut peut-être mieux produire en grande quantité ce que l’on sait bien produire et pratiquer des échanges avec d’autres producteurs locaux. Celui qui a des vaches vous fournira du lait, que vous pourrez lui échanger contre vos fruits ou vos œufs. Vous allez me dire que c’est ce qui se produit aujourd’hui : tel agriculteur s’est spécialisé dans le maïs, tel autre dans l’élevage ovin, tel autre dans le maraichage. Très bien, mais il faut se garder de tomber dans la dérive de l’agro-industrie où une région entière (poulets ou porcs en Bretagne), voire un pays entier (coton en Ouzbékistan) se spécialise dans un seul produit et fragilise ainsi ses capacités d’échange, étant soumis à la moindre fluctuation de la production ou de la demande.
La bonne dimension, pour ceux que l’activité paysanne séduit, est bien le hameau, le village. D’où l’idée que tous ceux qui cherchent une voie alternative se groupent géographiquement en communautés. Utopie, mythe soixante-huitard ? Que nenni ! L’alternative est possible, n’en déplaise à tous les politiques qui nous font croire, brandissant pour cela l’épouvantail communiste, qu’il n’y a d’autre salut que dans l’économie libérale et la mondialisation.
À tous ceux qui parlent d’utopie et de rêve irréalisable, je les invite à découvrir
Marinaleda.
Petite ville espagnole de 2700 habitants, en Andalousie, avec 12.000 hectares de terre. Depuis 30 ans, Marinaleda vit en mode communautaire, régie par une démocratie directe (100 à 200 réunions publiques et votes par an), a mutualisé les terres et les activités économiques (agriculture, maraîchage et conserverie) sur un mode coopératif. Salaire identique pour tous (47 euros par jour pour 6h30 à 8h de travail hebdomadaire selon la pénibilité), logement pour tous (maisons individuelles d’environ 90m2) pour 15 euros/mois, plein emploi, nombreuses infrastructures sportives et sociales gratuites, etc. Tous les bénéfices sont réinvestis pour le bien commun et par décision collective. Non seulement cela fonctionne, est pérenne (30 années de recul), mais le système apporte à tous les habitants sérénité et joie de vivre au quotidien. L’enthousiasme de chacun (parents, enfants, nouveaux venus) pour ce mode de vie et ce travail communautaire est unanime. Il ne s’agit pas d’un paradis sur terre fait de farniente, loin de là, mais de femmes et d’hommes qui vivent et travaillent avec passion, portés par une motivation commune.
Je vous invite à visiter les sites suivants
(certains ne sont qu’en espagnol) :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Marinaleda
http://www.marinaleda.com/
http://www.youtube.com/watch?v=r8JcmhbasRw
http://www.youtube.com/watch?v=ybzS5vbz2f0
L’exemple de Marinaleda est très intéressant car il démontre que, localement, d’autres systèmes d’organisation de la société fonctionnent, peuvent très bien s’autogérer, s’insérer dans une région et un pays sans se marginaliser, vivre dans la modernité et l’échange et non revenir au moyen-âge. L’autogestion en est la clé. Le communisme, avec son pouvoir autoritaire, avait fait fausse route. L’état, s’il se souciait du bonheur de chacun, ne devrait être qu’un cadre, qu’une structure institutionnelle permettant aux communautés humaines de s’autogérer comme bon leur semble. Il s’agit bien d’une troisième voie, ni capitaliste ni communiste, qui repose sur une démocratie directe, une vraie démocratie politique, économique et sociale
(je reviendrai sur la notion de démocratie directe dans un prochain billet).
Marinaleda repose essentiellement sur une activité agraire, mais rien n’empêche de dupliquer l’expérience dans le monde de l’industrie ou des services.
Je vous invite, chers lecteurs, à nous faire part de vos propres expériences de vie communautaire, réussies ou avortées, ou de nous signaler d’autres exemples du type « Marinaleda ».
Merci pour votre participation.