Grandir à la campagne
Une part croissante de l'Humanité nait, grandit et vit "hors sol", comme ces tomates que l'on cultive en Andalousie et dont les racines ne touchent plus la terre.
Ces tomates n'y gagnent pas en saveur, mais qu'en est-il de nous, humains ?
Quand un enfant nait dans un ville, sans contact avec la nature, c'est un peu comme quand un animal domestique nait parmi les humains. Il a perdu quelque peu ses instincts naturels et doit en réapprendre une partie (et pourra difficilement les réapprendre tous).
Un enfant qui nait et grandit à la campagne (mieux encore, dans une ferme) acquiert sur tous les plans, physique, psychologique et spirituel, immensément plus de bagage qu'un enfant "hors sol". Il a sous les yeux, du matin au soir, le Grand Livre de la Vie ouvert devant lui. Il s'y plonge en permanence comme on boit à la source.
Alors qu'on doit tout enseigner aux autres enfants, lui s'instruit à son insu, en observant, en vivant, en ressentant, en expérimentant. Cette leçon de la vie s'inscrira au plus profond de son être pour toute sa vie.
Il découvre les grandes lois de la Nature et perçoit instinctivement qu'elles s'appliquent à l'ensemble du vivant, dont il sait pertinemment faire partie intégrante.
Il comprend les cycles, le jour, la nuit, les saisons, la temporalité, un temps pour chaque chose et chaque chose en son temps.
Il comprend du coup la patience. Aller plus vite que la musique de la Nature n'aboutit à rien, semer trop tôt ou trop tard ne produira pas. Le développement du vivant n'est pas instantané mais doit se construire patiemment pour se construire durablement. L'arbre qui pousse trop vite est fragile et a un bois de faible qualité, l'arbre qui pousse lentement a un bois très dur et une longue espérance de vie.
Il comprend la chimie du vivant. Toute plante puise ce qui la construit dans le sol et lorsqu'elle meurt, sa matière se décompose pour enrichir de nouveau le sol. Il comprend de la même manière qu'il est construit de ce qu'il mange et prend conscience de la qualité nécessaire de sa nourriture. Il comprend que son corps aussi reviendra à la terre. Avant même son premier cours de chimie, il saisit parfaitement le sens de la maxime "rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme".
Il comprend, en observant les animaux, la place de chacun, les interactions entre eux, que même le plus infime joue un rôle, qu'ils peuvent s'entraider, avoir des intérêts communs, qu'ils ne se tuent jamais inutilement. Il ne considère pas l'animal comme une entité différente de lui mais s'assume en tant qu'humain comme une espèce parmi l'ensemble des espèces. Il sait que les règles qui s'appliquent aux animaux valent aussi pour lui.
Il comprend encore grâce à l'animal les principes de l'éducation. Les "parents" des animaux veillent à l'éducation de leurs petits, toujours avec bienveillance, sans jamais de violence (sinon feinte), dans l'objectif unique de les rendre plus forts et autonomes. Il comprend combien il a besoin d'apprendre de ses propres parents, et en même temps sait que le temps viendra où il faudra prendre ses distances. A son tour, lorsqu'il sera parent, inutile de lire quantités d'ouvrages de psychologie pour avoir comment éduquer ses enfants. Le bon sens et la bienveillance le guideront dans la voie juste.
Il comprend la toute relative puissance de l'Homme lorsqu'il observe celle de la Nature. L'orage, la tempête, la sécheresse ou les pluies diluviennes peuvent réduire à néant toute construction humaine. Il sait par expérience que la Nature domine l'Homme et non le contraire. Il sait par expérience que l'Homme a besoin de la Nature et non le contraire. Tout cela est pour lui une évidence que bien d'autres ont oubliée. Il reste donc à sa juste place, avec humilité, compose avec les éléments au lieu de chercher à leur imposer sa propre loi.
Il comprend et intègre parfaitement la notion même d'écologie, d'adéquation au milieu, de biotope, de la nécessité de la diversité des espèces, des cultures. Le non-gaspillage et le recyclage sont une évidence.
Il comprend l'importance de la solidarité. Solidarité au sein de la famille, respect pour les anciens et leur sagesse, mais aussi solidarité avec les voisins, avec qui on partage les tâches les plus dures, avec qui on mutualise les outils les plus coûteux.
Il comprend la nécessité de tendre vers l'autonomie, de n'être que le moins possible dépendant de la société de consommation, de tirer ses subsides de la générosité de la Nature, parce que c'est gratuit et meilleur.
Il comprend qu'il faut prendre en main sa propre santé, faire confiance à son intuition et découvrir les remèdes que la Nature met à sa disposition.
Un tel enfant a reçu le beau cadeau que la vie peut lui faire : comprendre la Nature et respecter ses lois. Quel que soit son parcours, quel que soit le milieu dans lequel il vivra et évoluera, il saura de manière innée ce qui est bon et juste. Quand d'autres chercheront toutes leur vie un philosophe, un psychanalyste ou un gourou pour savoir quoi et comment penser, il tracera lui-même sa propre voie avec assurance et évidence.