Réflexions sur la Simplicité Volontaire et la Décroissance - Le site de Philippe Lahille

Etat contre ultralibéralisme. Une nouvelle forme de guerre ?

Nous connaissions jadis les guerres armées, puis nous avons découvert la guerre froide.

Un nouveau type de conflit voit aujourd’hui le jour, qu’il faudrait sans doute craindre bien davantage que les précédents : il s’agit de la guerre entre l’ultralibéralisme et les Etats. Je m’explique, et je vais le faire avec des mots simples sur des concepts aussi simples, n’étant ni économiste ni politologue, seulement observateur de ce monde.

A la tête de ce que l’on va nommer « ultralibéralisme », nous trouvons une gent de capitaines d’industries multinationales, de banquiers, de fonds de pensions et autres fonds d’investissement, dont le credo librement affiché est de faire de l’argent pour de l’argent, par tous les moyens, de plus en plus, de plus en plus vite. Il s’agit donc d’une espèce d’oligarchie, de loups prêts à s’entredévorer (ou a coopérer) pour s’enrichir personnellement et démesurément.

Face à eux, leur principal ennemi : les Etats, c'est-à-dire ces institutions qui fixent des règlements, votent des lois censées ordonnancer la vie des citoyens, faisant valoir leurs droits et leurs devoirs. Bref, ce sont eux qui fixent les règles du jeu, posent les contraintes. Contraintes qui vont entraver le libre mouvement de nos ultralibéraux.

C’est maintenant que la guerre commence.

Les ultralibéraux font valoir qu’ils apportent des recettes fiscales et créent des milliers d’emplois. Ils font auprès des états un chantage ouvert : pas de contraintes, sinon les recettes fiscales fuient dans les paradis de même nom et vous gérerez les déficits, pas de contraintes sinon les emplois seront délocalisés et vous gérerez le chômage induit.
Que signifie : « pas de contraintes » ? Assouplir le droit du travail pour que chacun soit corvéable à merci, assouplir les règlementations fiscales et autres contrôles pour que les capitaux et bénéfices puissent circuler en toute opacité, être au dessus de la justice pour que les voyous en cols blancs échappent à toute poursuite judiciaire.

Qui va gagner cette nouvelle guerre, commencée dans les années 80 et 90 ?

Les ultralibéraux, la réponse ne fait aucun doute. Pour plusieurs raisons, mais surtout une : ils ont en face d’eux non pas un état, mais 200 états, avec pour chacun des réglementations différentes et des complicités plus ou moins complaisantes. Si donc l’un de ces états ne se soumet pas au dictat de leur jeu, ils vont déplacer leur terrain de jeu un peu plus loin. Sinon, ils ont l’argent pour corrompre si nécessaire les politiques. Penchez-vous un instant sur les différences de revenus entre politiques et ultralibéraux et l’équation est posée (on invite tel chef d’état en vacances sur son yacht… ça ne vous rappelle rien ? Récemment, une chasse à courre présidentielle organisée au Château de Chambord. Si, si, ça existe encore (voir ce site). Parmi les invités, aux cotés de ministres et préfets, quelques grands patrons du CAC40 ! Renvoyer l’ascenseur, créer des obligés de l’Elysée ?).

Les conséquences de cette guerre ? Dégâts collatéraux terribles pour les hommes et les femmes, les enfants, tous les êtres humains, la nature, l’environnement, la culture… Les ultralibéraux ont besoin de bêtes de somme dociles. Les enfants font d’adorables petites mains travailleuses et économiques ? Allons les faire travailler en Inde, quinze heures par jour, la nuit s’il le faut. Ils ont besoin de matières premières pour faire tourner leur usines, allons piller les ressources de la planète au mépris de l’environnement et de la gestion durable des ressources. Ils polluent et nuisent à la santé de la population locale ? Manquerait plus que ces pauvres gens se rebiffent, ils leur fournissent du travail, ils ne vont pas se plaindre en plus que leur nappe phréatique contienne du mercure… L’ultralibéral se reconnaît à son absence totale de morale. Sa seule religion est l’argent, sa seule loi est « la fin justifie les moyens ». Son objectif : asservir 99% des hommes au profit du 1% qu’il représente. Asservir juste ce qu’il faut : le bétail doit rester en assez bonne santé pour travailler, assez éduqué pour bien comprendre les consignes mais pas trop pour ne pas réfléchir à sa condition et se révolter. Le bétail doit recevoir sa part de fourrage, son enclot dans l’étable, doit rêver à plus de fourrage et à un enclot plus vaste, ce rêve entretenant l’illusion d’un mieux-être possible, la religion fera le reste. Le salaire doit être calculé au plus juste, aussi serré que possible pour un maximum de bénéfices, avec toutefois un accès facile au crédit pour maintenir la consommation et accroître encore davantage la dépendance au système. Tout est parfaitement réglé, ajusté au centime près.

Les états souhaitent-ils réellement engager la guerre contre les ultralibéraux ? A quoi bon, le combat étant perdu d’avance. Ce n’est pas pour rien que le parti antilibéral NPA déclare ne pas souhaiter gouverner… Alors s’instaure un modus vivendi entre eux : tirez sur la corde autant que vous voulez, jusqu’à la limite de la révolte sociale, surtout pas au-delà. Car c’est l’état qui va gérer la révolte sociale, pas l’ultralibéral qui la fuira par delà les frontières, vers des horizons plus accueillants, dociles et policés. L’état est soumis, impuissant, mendiant quelques dernières miettes d’un pouvoir illusoire. Le rapport de force est clairement déséquilibré. Le politique a vu son champ d’action se réduire à la part congrue. Qu’ils soient de gauche ou de droite, ils ont depuis 30 ans obéis, bon gré mal gré, à la loi de l’argent. Ils ont tous dénationalisé les secteurs bénéficiaires pour que l’ultralibéral grossisse sa part de gâteau. Ils acceptent l’inacceptable, on privatise l’eau, les communications, le vivant, les semences… si seulement on pouvait nous facturer l’air que nous respirons. Les politiques se sont gargarisés de beaux discours, juste pour masquer leur impuissance et leur servilité.

Existe-t-il un contre-pouvoir à l’ultralibéralisme ?

Le communisme a failli (même la Chine leur sert la soupe), ne parlons pas de la Birmanie ou de la Corée du Nord qui sont à l’humanité ce que la schizophrénie est la bonne santé psychique. Restent les institutions internationales (ONU, OMC, FMI…) qui pourraient revoir les règles du jeu en établissant des conventions internationales respectables et respectées partout et par tous. Faudrait-il que ce contre-pouvoir soit puissant, incorruptible et suffisamment contraignant pour que tous les états de la planète le respectent. La récente crise financière a vu se réveiller quelques états qui ont fait semblant de se fâcher tout rouge : « gare à vous », ont dit les politiques aux ultralibéraux, vous avez dépassé les bornes, vous avez joué avec le feu, nous allons vous remettre au pas. Finies les spéculations hasardeuses, finis les paradis fiscaux, nous allons maintenant instaurer des procédures de contrôle, vous rendrez des comptes, etc. Les banques ont été renflouées par les états pour éviter des faillites annoncées. Beaucoup plus rapidement que prévu, elles ont remboursé cette aide, intérêts compris. Quelle surprise ! On les croyait moribondes, elles se sont refait une santé en un temps record. Et pourquoi donc ont-elles remboursé les états ? Pour n’être plus redevables de rien et continuer leurs malversations hors de toute mainmise étatique.

Le pouvoir politique n’aura plus le dernier mot. Même si on se reprend à rêver de taxe Tobin (et non plus par des porte-paroles d’Attac mais par quelques élus, voire ministres - Christine Lagarde en personne - qui voient là une possibilité de recettes tout en freinant l’hyper-spéculation), ce serpent de mer rejoindra une fois de plus les abysses bien rapidement.

Je ne sais pas comment tout cela va se terminer. Je ne sais pas jusqu’à quel point l’homme acceptera d’être déshumanisé. Jusqu’à quel point on arrivera à lui faire supporter l’insupportable. Nous sommes dans le schéma de la grenouille qui ne savait pas qu’elle était cuite (mettez une grenouille dans une casserole d’eau froide et chauffez l’eau. L’élévation de température étant progressive, elle s’y habitue et ne fuit pas, jusqu’à mourir ébouillantée). L’homme s’habitue à cette déshumanisation car elle est progressive. On lui fait croire que c’est le prix à payer pour accéder au progrès et devenir un homme moderne. Alors il se satisfait de sa condition car on lui permet en contrepartie d’accéder à la technologie. Il peut maintenant regarder sur sa télé en toujours plus haute définition des programmes toujours en plus haute crétinité. S’abreuver de connerie en haute résolution, quel progrès ! Il a le tout dernier téléphone portable hi-tech, mais il ne sait plus communiquer, il perd le lien avec ses semblables, il devient de plus en plus autiste.

Je n’ai pas répondu à la précédente question : existe-t-il un contre pouvoir à l’ultralibéralisme ? Pas le politique, donc. Ni la révolution : la grenouille est en train de cuire sans s’en rendre compte. Une révolution n’est possible que par un réveil des consciences… Or les consciences sont sciemment endormies, étouffées, abêties. On entretient un sentiment permanent de peur : peur de perdre son travail, son logement, peur de tomber malade… La peur est le plus grand inhibiteur, la peur paralyse toute action, toute réaction, la peur est mauvaise conseillère et ne fait jamais prendre les bonnes décisions. Point de révolution, donc, et si velléités il y a, on sait très bien les contrer : on casse, ou au besoin on achète. On sait aujourd’hui parfaitement gérer ça.
Pas de contre pouvoir.

Seule reste la résistance individuelle. S’affranchir autant que possible du système, ne pas succomber à ses mirages, fuir ses pièges, ouvrir les yeux, analyser, décortiquer, remettre en question chaque évidence, sortir des sentiers battus, se forger ses propres valeurs, retrouver du lien, exprimer ses talents

Comme disait Jacques Brel : serait-il impossible de vivre debout ?




 
 



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