Sobriété ne rime pas avec morosité
Si bien des personnes comprennent qu’on se tourne vers un mode de vie simple par manque de revenu, surtout en cette période de crise, il semble plus difficile à comprendre qu’on le fasse volontairement, sans contrainte économique. En effet, pourquoi se priver de biens de consommation quand on peut se les offrir ? Pourquoi ne pas posséder les dernières technologies à la mode si notre compte en banque le permet ?
On en déduit donc que la simplicité volontaire conduit inéluctablement à la privation, donc à la morosité et à la tristesse, qu’elle ne peut engendrer que frustrations, et serait donc l’apanage de drôles de marginaux masochistes.
Ce serait vrai si l’on part du postulat que la richesse matérielle conduit au bonheur. Nous connaissons tous l’adage « l’argent ne fait pas le bonheur… » et l’on s’empresse d’ajouter avec un sourire entendu : « … mais il y contribue ».
Si donc l’argent fait le bonheur et procure joie de vivre, nous devrions observer infiniment moins de suicides (ou de comportements autodestructeurs) chez les plus riches, et au contraire une hécatombe dans les classes les plus modestes. En effet, le suicide révèle un profond malaise au point de mettre fin à sa vie, donc de n’avoir plus de « joie à vivre ». Or, tout le monde sait qu’il n’en est rien. De même, le taux de suicide devrait être considérablement plus bas dans nos pays occidentaux surdéveloppés que dans les pays les plus pauvres. Là encore, il n’en est rien.
Tiens donc, la relation argent – bonheur ne serait donc pas aussi évidente ? Tous les philosophes depuis l’Antiquité n’ont pourtant cessé de nous le répéter, mais notre religion de l’argent a voulu nous persuader du contraire.
Le bonheur c’est de savoir quand nous possédons assez. La satisfaction, bien plus que l’argent, est la source du bonheur. Savoir que l’on possède assez, savoir que l’on est aimé autant que l’on aime, savoir qu’on a le respect et la reconnaissance de nos proches, savoir que notre place est reconnue dans la société, dans notre famille, dans notre environnement local, tout cela est une réelle source de bien-être.
La simplicité volontaire agit comme une vraie « recette du bonheur ». C’est une recette magique, presque imparable. La SV prône un retour vers l’essentiel et propose dans un premier temps de moins consommer, de se désencombrer de l’inutile… De faire donc un peu plus de vide (matériel) autour de soi. La nature a horreur du vide. Créer du vide va provoquer immanquablement un besoin irrésistible de le combler. Mais si nous avons décidé de faire l’impasse sur les biens matériels, avec quoi allons-nous le combler ?
Par du lien, de l’amitié, du temps pour soi, du temps pour les autres, du partage, de l’entraide, de la culture, de l’acquisition de savoirs, de l’art… La liste est sans fin. Plutôt que d’afficher sa personnalité au travers de ce que nous possédons, utilisant nos objets comme autant de béquilles identitaires, nous allons l’afficher au travers de ce que nous sommes profondément, de ce que nous disons, de ce que nous faisons et de ce que nous savons. Etre plutôt qu’avoir, être plutôt que paraître.
Nous pouvons disserter des heures sur ce sujet, trouver des arguments pour, des arguments contre, tant que tout ceci reste sur un plan théorique (et rhétorique), c’est parler pour ne rien dire. Seule l’expérience est authentique.
Je participais récemment à une émission radio sur la « sobriété heureuse ». Une auditrice intervint à l’antenne : suite à une maladie qui provoqua en elle une profonde crise existentielle, elle passa un mois entier, chaque jour, à se démunir de la quasi-totalité de ses biens matériels. Elle donna tout ou presque à des œuvres caritatives et porta le reste à la déchetterie. Pour finir pas se retrouver avec le strict minimum vital, seule face à elle-même. Ce désencombrement radical eut pour effet de faire table rase du passé et de réécrire sa vie sur une nouvelle page vierge. Tout devenait possible, elle pouvait enfin se réinventer, libérée de tout fardeau. Elle se mit à réaliser tous les rêves qui lui étaient chers, elle s’adonna à des activités artistiques, libérant sa créativité. Elle reprit totalement sa vie en main, retrouvant ce qui lui avait manqué le plus : du temps pour elle, pour vivre, pour créer, pour apprendre, du temps à partager avec les autres.
Ce récit était profondément émouvant. Ce désencombrement fut pour elle salutaire et, tel un électrochoc, initia une véritable renaissance.
Je ne conseille pas ici à tous les lecteurs de tenter une telle expérience. Cette femme, arrivée à une situation extrême, eut le pressentiment que son salut passait par là, elle écouta son intuition qui s’avéra juste.
Ceux qui ont choisi la simplicité volontaire peuvent témoigner du profond changement qui s’opère. Tous vous diront combien leur vie devient plus intense, plus palpitante, en un mot plus heureuse. C’est pour cela que j’affectionne tout particulière l’expression de « sobriété heureuse » (que nous devons à Pierre Rabhi), car elle associe au concept de simplicité volontaire celui du bonheur, qui en est la conséquence logique.