Les colonisateurs colonisés ? Une pirouette de l’Histoire
Les grandes puissances occidentales, depuis les premiers explorateurs jusqu’aux années 1960 ont colonisé le Monde (ou presque). À part quelques rares pays comme la Thaïlande, l’Ethiopie ou la Chine, qui ne l’ont jamais été, ou sporadiquement, une poignée de pays s’était partagé la presque totalité du Monde, créant ainsi d’immenses empires.
Ces pays colonisés étaient nos vassaux, nous avions droit de vie ou de mort sur leurs sujets, leurs richesses devenaient nôtres.
La décolonisation fut essentiellement politique, l’assujettissement économique perdurant. Il suffisait, pour l’ancien colon, de bien organiser la succession politique pour que le nouveau président ou dictateur mange dans la main de son ancien maître. Rien de plus facile, une corruption bien organisée mêlant argent et armes suffisait à garantir une coopération fort enrichissante pour tous (sauf pour la population…).
Nous sommes en passe de connaître une inversion des rôles.
Les pays industrialisés consomment plus que jamais des matières premières et de l’énergie. Leur économie repose entièrement sur cet approvisionnement. Pour preuve, la moindre alerte de pénurie provoque une peur panique sur nos marchés. Pouvons-nous imaginer un seul instant ce que deviendraient nos sociétés si l’électricité, par exemple, venait à manquer ne serait-ce que quelques jours, ou quelques heures par jour, ne serait-ce que sur une partie du territoire.
Environ 2/3 de l’uranium produit dans le monde l’est dans des pays en voie de développement, ou des pays politiquement très instables. Idem pour le pétrole. 50% pour la production de l’acier, presque 100% pour des produits comme le caoutchouc, le riz ou les « terres rares », ces minerais indispensables aux nouvelles technologies. On ne va pas énumérer chaque matière première mais c’est bien le Sud qui fournit essentiellement le Nord et non le contraire. Et depuis la mondialisation, non seulement les matières premières sont fournies par le Sud mais aussi les produits manufacturés. Nous sommes donc dans une situation de dépendance très forte.
Or, progressivement, les pays du Sud acquièrent de plus en plus d’autonomie, et c’est tant mieux pour eux. Des démocraties remplacent les régimes totalitaires, les multinationales occidentales sont congédiées et leurs outils de production nationalisés, la dépendance technologique vis-à-vis du Nord s’amoindrit… Il s’agit là d’un mouvement de fond qui va s’étendre toujours plus dans les décennies à venir. L’ingérence militaire, politique ou économique des pays industrialisés dans ces pays émergents va décroître progressivement.
Qui deviendra alors le vassal de qui ? Vous l’avez compris, nous serons très bientôt totalement dépendants de nos anciennes colonies comme le transfusé l’est de sa poche de transfusion. Pirouette de l’Histoire. Je ne porte ici aucun jugement de valeur, je me contente d’observer et d’extrapoler ce qui se dessine déjà nettement aujourd’hui. Et nous ne nous en sortirons pas cette fois-ci par la puissance militaire, comme par le passé.
Le vent tourne. Des chômeurs espagnols vont chercher du travail au Maroc, des européens tentent de s’expatrier au Brésil mais ce dernier érige aujourd’hui des règles draconiennes à ces candidats migrants. Nous renvoyons parfois un charter d’immigrés africains dans leur pays d’origine, mais un jour ces mêmes pays renverront les milliers ou dizaines de milliers de ressortissants français. Je ne décris pas un scénario catastrophe (catastrophe pour qui ?), mais une simple et logique évolution du Monde. Une évolution des rapports de forces et des logiques de dépendances.
Alors, plus que jamais nous allons devoir apprendre la sobriété, autant que ce soit de notre plein gré que contraint et forcé.